Dans un monde dissonant et emplis de bruits et de fureur, arriver à accorder ses violons est un exercice de plus en plus difficile. C’est pourtant ce qu’ont fait avec brio deux groupes de post metal instrumental que sont Maudits et SaaR. Le défi est d’autant plus grand qu’il serait facile, pour l’un ou pour l’autre, de tirer la couverture à soi et laisser le second sur le bord du chemin. Mais loin de cette tentation, les deux groupes ont réussi à marier leurs deux univers respectifs, sans concession aucune mais avec finesse et intelligence, faisant de ce split, non seulement une très belle aventure musicale mais également un moment partagé d’amitié et de respect.
Bonjour à vous deux, vous avez sorti un split le 30 septembre. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Yann : Je suis Yann, guitariste, leader et seul membre originel de SaaR qui existe depuis 2010. Nous avons sorti 3 albums : The Last Day en 2013, Sol en 2016 et Gods en 2021. Nous sortons ce split avec Maudits et c’est une grande joie de partager ça avec toi, Anne.
Olivier : Je suis Olivier, guitariste de Maudits. Nous sommes un trio, je suis de Paris, les deux autres de Reims. Nous avons sorti deux albums (« Maudits » (2020) et l’E.P « Angle Mort » – 2021 – NDLR). Très contents d’avoir concrétisé aussi rapidement et facilement ce fameux split avec les amis de SaaR
Comment situeriez vous vos deux groupes ?
Olivier : Difficile à dire. En ce qui concerne Maudits – et je pense que c’est pareil pour Saar – on pourrait parler de Post Metal, parce que ça englobe plein de choses. Il y a des influences progressives, beaucoup de passages différents avec plein de nuances, des passages calmes, d’autres un peu plus énervés, des morceaux longs, à tiroir. En résumé : Post Progressif pour Maudits et Post Metal ou Post Rock pour SaaR.
D’où vous est venue cette idée de travailler ensemble ?
Olivier : Je connais très bien Julien Taubregeas parce que nous jouons ensemble dans Ovtrenoir et Throane. Je savais qu’il jouait dans SaaR que je connaissais aussi et appréciais avant même qu’il n’intègre le groupe. Je lui ai parlé du projet, il a transmis la demande aux autres qui ont rapidement acceptés.
Yann : On était super contents de faire ce split avec les gars de Maudits. J’adore ce qu’ils font et ça me touche énormément. Beaucoup de choses nous lient et il est suffisamment rare d’avoir un groupe de Post Metal Instrumental avec qui ça colle vraiment. Julien Taubregeas a fait le pont entre nous et dès qu’il nous a fait part du projet, on les a appelés et les choses se sont rapidement mises en place.
Comment chacun de vous a composé sa partie et quelle était la ligne directrice ?
Yann : On avait convenu de faire les choses chacun de notre côté, sans se concerter, et de voir ce que ça donnerait. Ce qui est fou c’est qu’on a traité des thèmes extrêmement proches et qu’il y a des similarités troublantes : le même tempo et on est quasiment voisins en termes de tonalités. On traite tous les deux de la rupture, même si j’ai l’impression que c’est plus la déconstruction qui est mise en avant dans Breken,
Olivier : On n’a entendu les morceaux de chacun qu’au moment où ils étaient complètement terminés. J’avais cependant envoyé une démo bien avancée à Julien qui ne l’avait même pas fait tourner aux autres. Par contre, l’ingé son a travaillé au niveau du mastering pour que l’enchaînement des morceaux soit cohérent en termes de son, qu’il n’ait pas de saut de volume parce que nous n’avions pas les mêmes producteurs.
Vous dites que “Loved” relate la mue d’une relation, le souvenir d’un amour que l’on croit immuable qui dérive vers un triste constat, rien n’est éternel.”
Yann : Tour à fait et rien n’arrive pas hasard. J’étais en pleine rupture d’une longue relation de 16 ans. C’est le genre d’évènement qui change beaucoup de choses. Le split est arrivé et je me suis nourri de ce qui se passait dans ma vie. Il fallait que je l’expurge, que je le mette en musique, et ça a été un parfait exutoire pour moi.
Chacun pourra se faire une idée selon sa sensibilité, mais je trouve qu’on entend cette rupture dans le morceau
Du coup, faut-il être malheureux pour composer ?
Yann : L’art est subjectif. Parfois, des personnes composent des musiques joyeuses, mais le fond est triste et inversement. En ce qui me concerne, j’ai plus facilement tendance à parler de la souffrance parce que cela me touche plus. Pourtant, il m’est déjà arrivé de composer des choses en étant heureux. Par exemple sur « Sol » deux compos parlent de devenir parents et de la joie que m’a procurée la naissance de mon fils.
Vous avez la chance en tant qu’artiste de pouvoir sublimer et partager vos émotions.
Olivier : Je pense que tout le monde peut le faire à sa manière, avec ses aptitudes, même si on n’a pas « d’activité artistique ». Pour certains ce sera l’écriture ou la peinture. Pour nous, c’est la musique. Même si ce n’est pas notre métier, du moins pas pour l’instant et sûrement jamais, vu son côté « invendable » (rires) nous sommes convaincus par ce que nous faisons et par notre manière de le faire. Et tant mieux si tu as été touchée.
Comment a été composé « Breken » qui veut dire « brisé » ?
Olivier : Le côté assez lourd, plutôt doom du début du morceau a été initié par notre batteur. Il enregistrait avec un autre groupe. Parce qu’il avait terminé en avance et que tout était déjà installé, il a commencé à prendre un tempo au hasard. Il l’a enregistré et me l’a envoyé. J’ai développé des riffs et construit le morceau à partir de ses parties de batterie. On a développé le truc autour cette base en rajoutant des arrangements de cordes, pas mal de mélodies, et de couches de guitares…
J’ai été touchée par Loved qui commence avec une intro très progressive et des alternances d’émotions et de rythmes, qui vont de la puissance vers des envolées presque dramatiques, des moments plus calmes et presque résignés. C’est très fort et parfois aérien.
Yann : Ma conception et le but de ma musique est de transmettre des émotions. Si tu les as ressenties, c’est que tu as été vraiment connectée avec ce qu’on a proposé et c’est super !
Les 3 parties de Breken sont reliées les unes aux autres par des thèmes communs. Ici aussi les émotions sont très fortes, entre début planant, cette montée en puissance et ses envolées lyriques. 3 ambiances différentes entre doom, un coté cinématographique et une fin plus puissante qui va presque vers le Post Rock.
Olivier : Cela résume bien la progression du morceau et ainsi que tous les styles qu’on essaye de mettre en place avec Maudits. On aime le coté doom, metal, assez plombé, le Post Rock, les gros crescendos, les arrangements de cordes…
L’aspect très cinématographique de notre musique est lié à la construction et à la structure de nos morceaux. On part de thèmes et on fait tourner les accords autour. On peut se comparer à des compositeurs de musiques de films, en termes d’intensité, de construction, de structures, de ressentis. Avec cependant beaucoup d’humilité !
Vous avez enregistré avec Francis Caste, au Studio Sainte Marthe, donc en terrain connu, c’est plus facile de travailler avec quelqu’un qui vous connait bien ?
Yann : C’était une évidence pour nous, parce qu’on a enregistré nos deux derniers gros albums de SaaR et Parlor. On sait comment il travaille et on connait son efficacité. Il était l’homme de la situation parce qu’on devait produire le split rapidement. On a enregistré, mixé et masterisé en 3 jours et on est super contents du résultat.
Vous avez travaillé avec le violoncelliste Raphaël Verguin, ainsi que le duo Frédéric Gervais / Emmanuel Rousseau, respectivement à la production et aux arrangements de cordes. Pourquoi avoir les avoir choisis ?
Olivier : On bosse avec Emmanuel et Frédéric depuis le début de Maudits. Manu Rousseau est un très vieux pote avec qui je bossais dans mes précédents groupes. C’est quelqu’un en qui j’ai confiance, il me connait, il sait quand il doit me pousser, quand je suis à la limite et quand il faut que je m’arrête. Il sait juger quelle est la bonne prise, quitte à changer les choses.
On cherchait un producteur et c’est Emmanuel qui nous a présenté Fred. J’avais initialement démarché Francis Caste que je connaissais parce que j’avais déjà enregistré avec lui. Comme souvent, il n’était pas dispo, parce que très occupé ! (rires). On a donc choisi Frédéric et on ne le regrette pas du tout. Il a fait un super boulot et a vraiment réussi à capter notre musique, à s’y adapter et c’est le son parfait pour notre style de musique.
En ce qui concerne Raphaël, il avait commandé notre premier album sur bandcamp. J’ai reconnu son nom et je me suis rendu compte que c’était le violoncelliste de Spectrale, un groupe que j’aime beaucoup. J’ai trouvé qu’il jouait bien et que j’aimerais bien collaborer un jour avec lui. Je l’ai contacté, on est devenus potes et il a joué sur « Angles Morts » et donc sur Breken. Il y a de fortes chances qu’on continue ensemble. Ce sont ces rencontres fortuites qui mènent à des choses très concrètes. Et je pense continuer longtemps avec des mêmes personnes
L’artwork est superbe, et sombre. Il a été réalisé par Guillaume Ringaud. Quel a été le cahier des charges ?
Olivier : C’est un artiste différent des précédents albums de Maudits et SaaR. Il a fait la cover d’un autre projet de black metal qui sort bientôt et qu’on a adoré. Il travaille à Londres et n’évolue pas dans le milieu du metal, même si la musique est sa passion. Je voulais quelque chose d’« artisanal » et organique. Nous lui avons donné quelques lignes directrices, dont un visage féminin pour SaaR et le trèfle pour Maudits, parce que c’est notre emblème. Ça a été difficile de choisir, parce que les dessins que je préférais esthétiquement collaient moins à l’ambiance du morceau et aux côtés « classe » et sobre de notre travail. Je trouve qu’on a fait le meilleur choix et je ne le regrette pas
Yann : En ce qui me concerne, je lui avais décrit le morceau et sa signification, qu’il a capté très vite. Il a été d’une efficacité redoutable, nous a fait des propositions aussi superbes les unes que les autres et on a choisi la plus simple mais la plus impactante.
Quelle est l’actualité de chacun ?
Yann : on est en train d’organiser pas mal de dates pour promouvoir ce split. On en a quelques-unes qui s’annoncent en février/mars. On va essayer de jouer au maximum et en parallèle on prépare la suite de « Gods »
Olivier : On a bossé comme des tarés pendant un an et demi ! On devrait jouer ensemble en mars. Nos deux groupes ont également enregistré une vidéo qui devrait sortir bientôt. Sans trop en dévoiler, on a pris des éléments des deux morceaux pour en faire un nouveau. On a enregistré et filmé en live, et cette vidéo sera retravaillée avec des images 3 D pour proposer quelque chose d’assez inédit.
Yann : Ce sera la fusion des deux titres revisités et réinterprétés. Son processus de création a été super cool, Olivier est venu chez moi, on a travaillé toute une après-midi et le squelette du morceau est apparu. C’est toujours plaisant quand ça se passe comme ça
Du coup, vous allez jouer ensemble ?
Olivier : bien sûr, il y a deux dates qui sont quasiment bookées, on ne va rien dire tant que ça n’est pas finalisé. On va essayer d’en trouver d’autres
Yann : en ce qui concerne Paris, on prend le temps de trouver une belle salle.
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Découvrez la chronique de Maudits par David Borg : https://www.loudtv.net/news/les-maudits-de-retours-avec-leur-poesie-crepusculaire-et-instrumentale/